HÔTEL DE RIVE

HÔTEL DE RIVE

le 23 et 24 mars 2016 à 19h30
dans le cadre du Festival MARTO, Theâtre 71, Scène Nationale de Malakoff
du 2 au 5 juin 2016
dans le cadre du Festival de Tallin (Estonie)
et à l’autome 2016
à New Delhi (Inde)

Hommage à Charlotte Delbo

Le 8 mars 2016

journée internationale des droits de la femme

Hommage à Charlotte Delbo

Suite aux démarches de l’association Les Amis de Charlotte Delbo depuis 2013, la
Ville de Paris a apposé ce 8 mars 2016, à 11h45, une plaque commémorative à la
mémoire de Charlotte Delbo. La cérémonie de dévoilement de la plaque s ‘est ouverte
par l’allocution de Mme Florence Berthout, conseillère de Paris et conseillère
régionale d’Ile-de-France, maire du 5eme arrondissement, suivi de l’évocation de la
vie et de l’oeuvre de Charlotte Delbo, par Mme Claude Alice Peyrottes, présidente
d’honneur de l’association les Amis de Charlotte Delbo, co-directrice de la compagnie
Bagages de Sable et de l’allocution de Mme Catherine Vieu-Charrier, adjointe à la
maire de Paris, chargée de toutes les questions relatives à la mémoire, au monde
combattant.
Cette cérémonie a été suivie à 18h30 à la mairie du 5eme, d’une conférence
d’Elisabetta Ruffini, directrice de l’Institut de l’histoire de la Résistance (ISREC de
Bergame), traductrice de Charlotte Delbo et conceptrice de l’exposition Charlotte
Delbo, une mémoire à mille voix. La conférence était accompagnée de lectures de
l’oeuvre de Charlotte Delbo, par Magali Chiappone-Lucchesi, docteur de l’Université
Paris III avec Claude Alice Peyrottes et de moments musicaux par le flûtiste,
concertiste, François Veilhan, créateur de l’ensemble Campsis

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*

Discours de Claude Alice Peyrottes, présidente d’honneur de l’association Les Amis de Charlotte Delbo, metteure en scène, co-directrice de la compagnie Bagages de Sable.
Paris le 8 mars 2016

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« Chacun témoigne avec ses armes …je considère le langage de la poésie comme le
plus efficace- car il remue le lecteur au plus secret de lui-même et le plus dangereux
pour les ennemis qu’il combat. » Charlotte Delbo
Ces propos sont extraits d’un entretien paru dans « Le Monde » du 20 Juin 1974, avec
son ami l’écrivain François Bott, qu’elle avait désigné comme « son lecteur », et qui
est aujourd’hui parmi nous.
Evoquer la vie de Charlotte Delbo, c’est évoquer la vie d’une femme à la personnalité
et au destin extraordinaire. Tous ceux qui ont eu la chance de la fréquenter, de la
connaître, évoquent son allure altière, son élégance, son intelligence, son sens de
l’humour et ses réparties « piquantes », sa générosité envers sa famille et ses amis,
son sens profond de l’amitié qu’elle leur prouvait, dans les moments les plus difficiles,
mais aussi sa pudeur quant à ses sentiments les plus intimes, ses moments de solitude
face aux cauchemars qui l’assaillaient, ses angoisses à la tombée du jour et cette
attention particulière qu’elle savait porter aux plus jeunes de ses connaissances.
Evoquer la vie et l’oeuvre de Charlotte Delbo c’est évoquer la vie d’une femme
engagée dans les luttes de son temps, d’un écrivain, d’une écrivaine au destin
exceptionnel.
Charlotte Delbo est née à Vigneux-sur-Seine dans l’Essonne. Issue d’un milieu
modeste, de parents immigrés italiens. Elle est l’aînée de quatre enfants.
Après une scolarité à l’école publique de Vigneux, elle suit une formation de sténodactylo
bilingue en anglais.
Cette formation jouera un rôle très important dans sa future vie professionnelle.
C’est à l’âge de 17 ans qu’elle trouve son premier emploi à Paris comme secrétaire
d’une entreprise d’import/export située au coeur des beaux quartiers.
Dès lors Charlotte Delbo passe l’essentiel de son temps à Paris, et c’est à Paris qu’elle
fera les rencontres qui marqueront de façon décisive sa vie. Henri Lefebvre, Georges
Dudach et Louis Jouvet.
Très jeune, en 1932, elle adhère et milite au mouvement des jeunesses communistes.
C’est dans le quartier latin qu’elle fait par hasard la connaissance de Henri Lefebvre
qui n’est pas encore devenu le sociologue et philosophe de renom. Dans un de ses
Curriculum Vitae datant des années 60, elle écrit :
« Je n’ai pas fait d’études officielles, et aucun diplôme n’atteste de mes
connaissances. Cependant j’ai fait de la philosophie avec Henri Lefebvre de 1932 à
1934. »
C’est à Paris, toujours, qu’elle rencontre en 1934 « son amoureux du mois de mai »,
Georges Dudach, avec qui elle se marie en 1936 dans le 3eme arrondissement. Elle a
23 ans il en 22. Comme elle, il est issu d’un milieu modeste.
Tous les deux partagent le même engagement, ils ont le même appétit de culture, la
même indignation devant l’injustice, la même ambition, se battre pour changer le
monde, « vivre des moments de bonheur » .
Georges Dudach qui a de nombreuses responsabilités au sein du Parti communiste
devient rédacteur en chef de la revue Les Cahiers de la Jeunesse dirigée par Paul
Nizan.
Charlotte Delbo participe aux pages culturelles, fait des comptes rendus sur des
livres, écrit des articles dans la rubrique théâtrale. C’est à l’occasion d’un article sur le
théâtre pour cette revue qu’elle rencontre Louis Jouvet au théâtre de l’Athénée en
1937. Deux jours après cette rencontre, Jouvet la convoque
A la relecture de son article, avant sa publication, il lui dit :
« Ça me plaît bien ce que vous avez écrit, je retrouve mon souffle, mes idées, ça me
plaît à ce point que je vais vous demander d’être ma secrétaire. »
Cette rencontre sera décisive, à plus d’un titre, pour Charlotte Delbo, mais aussi pour
Louis Jouvet qui trouve en elle une secrétaire, une assistante remarquable pouvant
rendre compte au plus près des idées, du mouvement de la pensée, et du souffle du
« patron » qu’elle appelait « Monsieur Jouvet » Ainsi pendant 4 ans elle prend en
note les cours de Louis Jouvet au Conservatoire d’Art Dramatique….
C’est donc grâce à ses compétences professionnelles, mais aussi à sa capacité
d’écoute, son sens aigu de l’observation, sa vivacité intellectuelle, son goût pour la
littérature, le théâtre et les conversations qu’elle aimait partager avec lui, que nous
pouvons lire aujourd’hui encore, les cours du Conservatoire de Louis Jouvet, qu’elle
prenait en sténo, puis retranscrivait et qu’il n’a jamais retouchés.
En 1941, Charlotte Delbo suit la troupe de l’Athénée, dans sa tournée en Amérique
du Sud.
En Septembre de la même année, elle décide de les quitter malgré l’insistance de
Louis Jouvet pour qu’elle n’en fasse rien. Elle rejoint à Paris son époux Georges
Dudach engagé dans la résistance intérieure. Vivant tout deux dans la clandestinité,
« dans le brouillard » ils sont arrêtés ensemble à leur domicile parisien le 2 Mars
1942, par les brigades spéciales de la Police Française. Interrogés séparément ,
Georges Dudach sera torturé, puis emprisonné à la prison du Cherche Midi,
Charlotte Delbo à la prison de la Santé.
A l’aube du 23 Mai 1942, ils sont autorisés à se revoir une dernière fois dans une
cellule de la prison de la Santé.
Dans une de ses pièces de théâtre « Les hommes », Charlotte se met en scène sous le
nom de Françoise, évoquant sa vie avec Georges sous le nom de Paul, elle écrit :
« Paul disait que sacrifice n’est pas gaspillage puisqu’il est nécessaire, puisque sans
le sacrifice de quelques uns- quelques uns ? Des milliers-il n’y aurait d’avenir pour
personne. » Georges Dudach est fusillé le jour même au Mont-Valérien en même
temps que ses camarades Georges Politzer, Jacques Solomon, Jean-Claude Bauer,
Claude Gaulué, et André Pican. Il a 29 ans. Tous « Morts pour la France ».
En Août 1942, elle est transférée au Fort de Romainville où elle fait la connaissance
de celles qui partageront sa case et formeront avec elle un groupe solidaire à
Birkenau : Viva, Yvonne Blech,Yvonne Picard, Lulu, Cécile, Carmen, puis Madeleine
Doiret, Poupette…
Le 24 Janvier 1943, il y a 73 ans 230 femmes, en majorité des combattantes de la
Résistance, quittent Compiègne dans des wagons à bestiaux verrouillés pour une
destination inconnue d’elles.
Le 27 Janvier 1943 ce convoi dit des 31000, arrive à Auschwitz–Birkenau, après 3
jours et 3 nuits de train.
Sur les 230 femmes de ce convoi, 49 sont revenues après 27 mois de déportation,
dont Charlotte Delbo, et parmi elles, Marie-Claude Vaillant-Couturier, témoin
historique au procès de Nuremberg, Madeleine Jegouzo, Marie-Elisa Nordman…
Quelques mois après son retour des camps en Juin 1945, alors qu’elle se trouve dans
une maison de repos en Suisse à Mont-sur-Lausanne, elle écrit sur un cahier
d’écolier , d’un trait, le livre qu’elle avait conçu dans sa tête, lorsqu’elle était à
Auschwitz, et dont elle connaissait le titre « Aucun de nous ne reviendra », un vers
d’Apollinaire, témoignage poignant de ce que fut l’inconcevable réalité de
l’expérience concentrationnaire, et un hommage bouleversant à la mémoire de ses
camarades, des victimes de la Shoah, de tous ceux qui ne sont pas revenus.
Ainsi Charlotte a tenu sa promesse. Ecrire, pour avant tout « donner à voir ».
Voici ce que dit l’historienne Annette Wieviorka à propos de son oeuvre-témoignage.:
« Ce qui frappe d’abord, c’est le fait que cette façon d’écrire après Auschwitz est
unique(…) C’est d’emblée un témoignage qui est collectif, où Charlotte Delbo parle
au nom de ses compagnes, ses compagnes qui n’ont pas survécu, comme ses
compagnes qui, comme elle, ont pu rentrer. (…) Ce qui me semble être aussi une
particularité très importante de l’oeuvre de Charlotte Delbo, c’est la façon dont elle
parle de ce qui s’est passé pour les juifs et ce, dès l’ouverture de sa trilogie(…) elle
ne raconte pas son histoire, elle raconte l’histoire des autres. Charlotte Delbo
témoigne, et elle témoigne de ce qu’a été le sort des juifs dont elle a été le témoin.
C’est quelque chose qui est tout à fait exceptionnel. »
Dès lors, elle n’aura de cesse d’écrire, poèmes, essais, nouvelles, pièces de théâtre.
L’essentiel de son oeuvre littéraire sera d’abord publié aux Editions de Minuit et chez
Berg International.
A son retour de la maison de repos en Suisse, Charlotte Delbo travaille quelque temps
encore au théâtre de l’Athénée et dès novembre 1947, elle postule et obtient de
travailler à l’ONU à Genève. Elle a 34 ans. Elle restera 12 ans en Suisse, durant
lesquels, malgré son éloignement et ses nombreux voyages professionnels à
l’étranger, elle revient régulièrement à Vigneux voir sa mère et à Paris : « Tu sais je
n’ai rien raté » dira-t-elle à son amie Ida Grinspan, évoquant les événements
culturels, spectacles, expositions, concerts, opéras…
Voici ce que Françoise dit dans la pièce « Les hommes » , évoquant sa vie à Paris
avec Paul, c’est-à-dire Georges :
« La raison aide-t -elle à vivre? C’est par le coeur qu’on vit, non par la raison. Nous
décidons toujours en fonction du raisonnable et le coeur ne le supporte pas. Et que
fallait-il donc faire ? Rester à l’abri, attendre…Ni Paul ni moi ne le pouvions.
Comment rester muet, rester indifférent, quand on tue, quand on torture, quand on
anéantit tout ce qui fait corps avec nous : les amis, la vie elle même, et la ville que
nous aimions, défigurée par eux, réduite au silence. Que nous nous sommes
promenés dans la ville, Paul et moi, à bavarder, à parler sans fin ; la ville nous
appartenait toute avec les rues qui nous étaient familières et celles que nous
découvrions ; les affiches, les cafés, les boutiques, les endroits où nous nous étions
donné rendez-vous. Nous entassions des souvenirs (…) souvent pendant ces
promenades, j’essayais de nous voir vieillis, devenus vieux, et je me disais : c’est joli
un vieux couple. »
En 1957, Charlotte fait l’acquisition de cet appartement rue Lacépède. En 1960, elle
se réinstalle définitivement à Paris. Paris c’est la ville de sa jeunesse, de ses combats,
de sa vie avec Georges.
Elle retrouve Henri Lefebvre et devient son assistante, d’abord à l’université de
Strasbourg, puis à Nanterre. Charlotte Delbo termine sa carrière professionnelle en
1978 au CNRS.
Elle continuera tout au long de sa vie à s’engager personnellement, essentiellement
par l’écriture. « Je n’écris pas pour écrire. Je me sers de la littérature comme d’une
arme car la menace m’apparaît trop grande. »
Charlotte Delbo disait écrire pour les générations futures.
En 1972, Lors d’une conférence à New York, à l’ouverture du cours de littérature
française de Rosette Lamont, voici ce que dit Charlotte Delbo :
« Pourquoi j’ai écrit sur Auschwitz ? »
« -Pour porter à la connaissance, pour porter à la conscience. L’événementl’histoire-
n’entrent dans la mémoire de l’humanité que s’ils sont portés à la
connaissance, c’est-à-dire à la conscience. Porter à la conscience, c’est porter au
langage. Porter au langage ne signifie pas simplement:mettre en écrit. Porter au
langage, cela veut dire se servir du langage, des mots que savent les autres, pour leur
communiquer émotion, sentiment, expérience vécue-ou imaginée-vérité.Le langage
est porté par l’émotion, par la force du sentiment. S’il n’est pas chargé de ce contenu,
de cette richesse, le langage n’est plus langage. Il est verbiage. Le langage est plein,
inépuisable. C’est pourquoi les grandes oeuvres trouvent un écho chez ceux qui les
lisent des siècles plus tard ; c’est pourquoi les grands oeuvres nous parlent encore et
portent encore une vérité inépuisable. »
Dans ses oeuvres on ne trouve pas de haine, pas de ressentiment, et malgré les
terribles épreuves qu’elle a vécues elle gardera confiance en l’Autre, son semblable,
en son humanité comme en témoignent ses paroles dans un entretien avec Jacques
Chancel dans son émission Radioscopie de 1974 :
Jacques Chancel : – Vous aviez quel âge à Auschwitz ?
Charlotte Delbo : – 25 ans
J.Chancel :- C’était la jeunesse
C.Delbo : – La jeunesse oui…
J.Chancel : – 27 mois gâchés
C.Delbo : – Non c’est pas gâché, non c’est pas gâché puisque je suis revenue, ce que
j’ai appris là…mais personne, personne ne l’apprendra, j’ai payé cher, mais c’est
quelque chose qui n’a pas de prix…j’ai appris le…j’ai vu le courage, j’ai vu la bonté,
j’ai vu la générosité, j’ai vu ce que les autres ont fait pour moi, celles qui m’ont
portée, celles qui m’ont aidée, celles qui m’ont donné à boire quand j’avais soif,
celles qui se sont privées de leur pain pour obtenir un verre de boisson pour moi
alors que je mourais de soif, alors vous savez, ça donne en même temps une très
grande confiance dans son semblable.
Charlotte Delbo est décédée le 2 Mars 1985 à l’âge de 72 ans.
Au nom de l’association Les Amis de Charlotte Delbo et de son président Yves
Jegouzo, nous remercions la Ville de Paris, ses élues, Mme Hidalgo, Mme Berthout,
Mme Vieu-Charrier, et toutes celles et ceux qui ont contribué à honorer la mémoire
de Charlotte Delbo par le dévoilement de cette plaque commémorative dans ce
quartier et cette ville qu’elle aimait tant.